Un vol d’images au Lab-Labanque
Par Alain Decaix
Cela devait arriver : le Lab-Labanque a été visité. L’entrée libre, de 14h à 19h tous les jours, la possibilité de circuler sans entraves, toutes les portes ouvertes dans toutes les salles : autant de facilités et de tentations auxquelles il était devenu de plus en plus difficile de résister. C’est arrivé : le Lab-Labanque a été visité.
Alors, menons l’enquête. Où les faits se sont-ils déroulés ? Dans notre imaginaire. Quand ? Ce samedi 28 novembre 2009, à 15h. Qui ? Les auteurs du vol sont bien connus des services culturels. Ce sont les amis et adhérents du Comité historique de Béthune. Ils ont l’habitude d’agir en bande organisée. Quoi ? Ils ne s’en sont pris qu’aux images et aux symboles. Apparemment, seul l’esprit des lieux les intéressait. Comment ? Sans effraction, ni violence. Au moyen de vidéos, d’installations et d’enregistrements sonores. Pourquoi ? Pour réaliser leurs rêves. Ce sont des êtres avides d’illusions.
L’enquête est-elle terminée ? Non, une question encore. Y avait-il des complices ? Oui. Un certain Amalgamix a tout organisé . C’est lui qui a investi les lieux au préalable et l’on sait qu’il se réjouit qu’ils soient visités. Par le X on pense qu’il appartiendrait à la bande (dessinée) d’Astérix, mais sa grande pratique de l’amalgame rend les recherches difficiles.
Au premier étage, comme pour illustrer la grande diversité de l’art contemporain, Jérémy Liron nous propose une expérience esthétique très différente. En effectuant le trajet de Lyon à Béthune par le train, il a photographié les paysages et les immeubles qui défilaient par la fenêtre. Et partant de là, il a voulu fixer ses impressions en réalisant une série de tableaux qu’il présente au Lab-Labanque , accompagnés de textes épinglés au mur. Ceux qui liront Jérémy seront récompensés, car il s’efforce dans ces textes, de traduire avec des mots ce qu’il exprime, par ailleurs, dans sa peinture. L’un d’eux résume presque littéralement sa démarche : « Accrocher au mur la disparition répétée d’un réel qui simultanément se donne et se soustrait… »
Paradoxe apparent, ce qui l’a impressionné le plus dans ce mouvement continu d’apparition et de disparition des choses c’est ce qui demeure stable, ce qui subsiste. Qu’a-t-il constaté par la fenêtre ? « Des lieux immuables, sous un ciel immuable ». Aussi veut-il « …capter les mouvements du monde dans un temps aboli » en les immobilisant sur la surface de la toile. Il s’agit pour lui de saisir une permanence dans ce changement incessant. Comment ? Par la régularité du format (1,23x1,23m), toujours le même. Par la présence récurrente de ce ciel bleu uniforme qui, de toile en toile, se répète, tel le fond doré dans la peinture primitive. Jérémy Liron parle « d’un entêtement du bleu ». Quelque chose, là, insiste et persiste.
« Il y a des buissons au bord des voies, et des arbres… », nous dit l’un des textes. Simple constat de l’existence nue. La formulation évoque un poème d’Apollinaire, intitulé précisément Il y a. Dans ce poème écrit dans les tranchées, Apollinaire répète à chaque vers la formule :
Il y a des cimetières pleins de croix
Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cour.
Dans les deux cas, le poète et le peintre, en nous disant et en nous montrant CE qu’il y a, veulent surtout exprimer et nous faire éprouver le il y a, c’est-à-dire la présence pure des choses, ou, encore, l’énigme de l’Etre.